Génie des procédés

Pour mettre en œuvre ces applications, qui nécessitent à la fois la connaissance fine de processus à l’échelle microscopique, la caractérisation de différentes propriétés thermophysiques à l’échelle macroscopique et le dimensionnement à l’échelle pilote, il est nécessaire d’appliquer un ensemble de méthodes développées en Génie des Procédés. Ainsi, différentes disciplines telles que la thermodynamique, l’étude des transferts de matière/chaleur/quantité de mouvement, le génie de la réaction chimique, l’analyse dimensionnelle, la physico-chimie des interfaces, la cristallisation sont appliquées dans la littérature afin de développer les connaissances nécessaires à la mise en œuvre de « procédés à base d’hydrates » (hydrate-based processes).

Le pôle « Génie des procédés » propose le développement d’approches expérimentales et d’outils de modélisation indispensables au développement de procédés efficaces (nouveaux ou existants) utilisant favorablement les hydrates de gaz.

Verrous scientifiques

Les problématiques associées aux applications technologiques utilisant favorablement les hydrates de gaz nécessitent des approches multi-échelles pour caractériser les mécanismes mis en jeu, auxquelles le génie des procédés peut répondre par:

    • la compréhension des mécanismes de cristallisation des clathrate hydrates,
    • l’étude de la cinétique de formation et de dissociation des hydrates selon les géométries rencontrées, en particulier la mise en évidence de phénomènes hors équilibre et le couplage entre transferts et équilibres thermodynamiques
    • la modification des conditions de pressions et de températures des hydrates par l’utilisation d’additifs thermodynamiques, nouveaux ou existants,
    • l’étude des écoulements et des transferts thermiques des fluides constitués d’hydrates (type coulis),
    • la définition de procédés efficaces de formation et dissociation d’hydrates et les architectures associées,
    • l’évaluation des performances des applications utilisant les hydrates de gaz,

Stockage et transport de gaz

La capacité de stockage du gaz dans les structures solides de clathrate hydrates, ou de semi-clathrate hydrates concerne plusieurs applications, comme le stockage et le transport de l’hydrogène et du méthane et du gaz naturel, mais aussi le captage et la séparation d’effluents gazeux puisque la capacité de stockage impacte directement sur le volume des unités.
On peut distinguer les enjeux liés à la capacité de stockage, à la cinétique de charge, et la cinétique de décharge. Les deux derniers enjeux sont aujourd’hui peu traités car les efforts concernent le premier. Ce premier enjeu est de maintenir une forte capacité de stockage tout en diminuant la pression opératoire. La diminution de la pression opératoire passe par une stabilisation de la structure solide du réseau piégeant (eau solide), et par un pré-remplissage partiel des cavités, pénalisant donc la capacité de stockage elle-même. La modélisation de ces effets implique de travailler sur la thermodynamique de nouveaux semi clathrates hydrates, mais aussi sur la thermodynamique des solutions aqueuses contenant de nouveaux sels à forte concentration.
Les familles d’additifs promoteurs d’hydrates consistent pour beaucoup en des sels d’ammonium quaternaires dont le représentant le plus connu est le tetra-n-butyl ammonium bromure. De très nombreuses autres familles sont aujourd’hui en cours de test, ou doivent être testées, soit des sels hydrosolubles, ainsi que le tetrahydrofurane (THF), soit enfin des additifs organiques hydrophobes (par exemple le cyclo pentane).
A ce stade des études, les équipes de recherche travaillent principalement sur l’identification des effets thermodynamiques de ces additifs, et travaillent assez peu sur les conséquences cinétiques relatives à la cinétique de cristallisation (charge) et de dissociation (décharge de l’unité de stockage).
Comme les tests expérimentaux à partir de gaz naturel ne nécessitent pas de condition de sécurité particulière, ils peuvent être réalisés dans de nombreux laboratoires partenaires du GDR. Par contre, les tests sur l’hydrogène, ainsi que sur les gaz acides tels que les gaz soufrés (H2S) nécessitent des précautions et équipements particuliers, disponibles respectivement àl’ENSTA ParisTech et au CTP de l’Ecole des Mines de Paris.

Capture et séparation de gaz

Comme indiqué précédemment, cette thématique est proche, sans être identique, à la thématique du stockage du gaz, car la capacité de stockage affecte directement le volume des unités de captage. Les additifs thermodynamiques sont identiques à ceux recherchés dans le stockage (pour abaisser la pression opératoire) mais avec une dimension supplémentaire lié à la sélectivité de la séparation.
Cette sélectivité peut trouver son origine dans la thermodynamique des équilibres de phases, mais aussi être affectée par la cinétique qui revient à fabriquer des solides en dehors de leur zone d’équilibre. A ce jour, l’identification des origines cinétiques et/ou thermodynamiques de la sélectivité, vis-à-vis du CO2 par rapport au N2 est par exemple une question toujours ouverte, et qui implique des étapes de caractérisation extrêmement lentes, de plusieurs mois quelquefois, pour être sûr d’achever un équilibre thermodynamique lors d’une expérimentation.
Il a été ainsi été montré expérimentalement que la formation de semi-clathrates en présence de tétra-n-butyl ammonium bromure pouvait conduire à la formation d’une hydrate pur en CO2 pourvu que la composition du gaz de formation soit supérieure à 20% en CO2 et que l’étape de cristallisation soit rapide. Cette observation indique que les procédés de captage pourraient être opérés systématiquement en dehors de l’équilibre thermodynamique, ce qui ouvre tout un champ théorique pour modéliser la cinétique, à partir de considérations d’une limitation par les transferts aux interfaces, ou à partir de considérations d’une limitation de la cinétique de ré-organisation de la structure solide.
Des combinaisons complexes d’additifs peuvent être aussi tentées afin de bénéficier de l’effet thermo/cinétique d’additifs promoteurs de la structure de clathrate hydrates, avec des additifs purement cinétiques. Par exemple, l’ajout d’une faible quantité d’un promoteur thermodynamique (THF en particulier) combiné à certains tensioactifs permettait de favoriser la cristallisation d’hydrates et d’augmenter de façon significative la cinétique de capture des gaz et le taux de conversion de l’eau en hydrate. Les bénéfices obtenus sont liés à la fois à la présence de l’additif thermodynamique, qui permet la formation d’un premier hydrate jouant le rôle de « catalyseur » pour le reste de la réaction, et à un mécanisme spécifique, qualifié de « capillarity driven », dû à la présence du tensioactif. Dans ce dernier mécanisme, les particules d’hydrates forment sur les parois du réacteur une structure poreuse mouillable à l’eau qui, par effet capillaire, s’imbibe de la phase aqueuse résiduelle, maintenant ainsi une interface eau/gaz importante favorable à la poursuite de la cristallisation.
La caractérisation des effets thermodynamiques, et leur découplage avec les effets cinétiques, implique des études de caractérisation complexes pour évaluer la composition du gaz, la composition du liquide et la composition du solide. Les effets cinétiques sont aussi l’objet d’études encore plus compliquées afin de discerner dans le temps l’origine des limitations, les transferts aux interfaces Gaz/Liquide, Liquide/Liquide, Liquide/Solide, et les cinétiques de cristallisation ou re-cristallisation.
Les appareillages étudiés sont très proches de ceux utilisés pour la caractérisation des capacités de stockage; soit des cellules PVT équipées de caractérisation en ligne, de chromatographie gazeuse par exemple (technologie développée par l’Ecole des Mines de Paris et utilisée aujourd’hui par de nombreux partenaires du GDR) ou de mesure FTIR (présente à l’UCP pour ce sujet, mais aussi à l’université de Lille pour les aspects généraux liés à la thermodynamique) ; soit des micro-cellules pour la calorimétrie différentielle haute pression.
Comme indiqué précédemment, les enjeux de modélisation sont importants 1) Tout d’abord à l’échelle microscopique pour l’évaluation des propriétés thermodynamiques locales (modélisation thermodynamiques et cinétique, développement de modèles thermodynamiques de type SAFT, eNRTL et EOS, dynamique moléculaire, chimie quantique, développement de champs de force et méthode échantillonnage augmenté), ensuite 2) à l’ échelle macro pour la prise en compte des transferts aux interfaces et de la géométrie de réacteurs.
L’expertise des membres du GDR est forte car elle a répondu avec succès à de nombreux appels à projets européen (ULCOS pour l’industrie sidérurgique puis iCAP pour la production d’énergie), nationaux (ANR SECOHYA sur des aspects larges et fondamentaux, FUI ACACIA pour la production d’énergie) et enfin régionaux.

Gestion de l’eau

Les clathrates hydrates piègent l’eau sous forme pure, excluent les sels (sauf s’il s’agit de sels très spécifiques tels que les promoteurs) et flottent dans l’eau. Ces propriétés ouvrent un champ d’application très intéressant au traitement des effluents, voire à la purification d’eau. Ces deux champs d’applications diffèrent par le niveau d’avancement de la réaction. Pour le procédé de traitement des effluents, l’objectif est de convertir toute l’eau pour récupérer une eau de qualité industrielle (après fonte du sorbet) pour son recyclage, et des sels précipités pour leur valorisation. On utilise alors des promoteurs qui peuvent continuer à circuler dans le système de recyclage, et qui doivent pourtant être séparable de la phase aqueuse après fonte du sorbet. Ce seront donc des additifs hydrophobes, ou alors des gaz. Pour le procédé de purification d’eau, l’objectif est de récupérer une eau de qualité alimentaire, sans sels. On procèdera donc à une cristallisation à niveau d’avancement faible pour ne pas précipiter les sels, et on utilisera un promoteur alimentaire et très facilement et totalement séparable de l’eau (par exemple du CO2).

Les procédés permettant de traiter par formation d’hydrates de gaz des effluents industriels spécifiques pour la récupération des sels sont à des stades de maturité élevée, pourvu que soient élaborés les « bonnes » combinaisons additif/cristalliseur/sels précipités. Les questions scientifiques concernent principalement la thermodynamique des solutions liquides fortement salines, et la thermodynamique des sels précipités, et non pas la thermodynamique du solide clathrate de gaz lui-même qui reste du domaine du classique.
A des niveaux de maturité intermédiaires (TRL5-6) se posent aussi des questions de choix de technologie, et notamment du cristalliseur, et surtout d’optimisation énergétique entre les cycles de cristallisateur et de dissociation. On retrouve là des considérations assez proches à celles développées dans les sections suivantes liées à la production et au stockage/transport de coulis d’hydrates, mais aussi des considérations très spécifiques de séparation du coulis vis-à-vis d’une eau mère contenant des sels précipités.

Climatisation, réfrigération et thermique

La structure des clathrates hydrates et semi-clathrates hydrates résulte de la ré-organisation de l’eau autour de molécules hôtes. Les molécules d’eau interagissent par des forces de liaison hydrogène, qui ont pour conséquence une forte enthalpie de changement de phase, mise à profit comme matériau à changement de phase, pour une application dans le stockage de froid. La température de changement de phase peut être ajustée par l’utilisation de promoteurs thermodynamiques et/ou de gaz (par exemple le CO2) et son niveau opératoire de pression.
L’enjeu industriel connexe est la possibilité de découpler la production de froid et son usage, soit pour réduire la taille des unités frigorifiques, soit pour utiliser l’énergie électrique lorsqu’elle est disponible. Cette dernière caractéristique est essentielle pour contribuer au développement des énergies renouvelables et intermittentes.
L’IRSTEA, l’Ecole des Mines de Saint-Etienne et l’UCP (ENSTA ParisTech) sont équipés d’instruments de laboratoires et de pilotes pour étudier les matériaux à changement de phase à base d’hydrates pour le stockage et la conversion de l’énergie thermique dans les systèmes de réfrigération et développer cette technologie jusqu’à des TRL 5 ou 6. Les dispositifs expérimentaux associés, de différentes tailles (de 40 ml à 25 l à 2 m3) et équipés de différents capteurs (thermocouples, capteurs de pressions, de perte de charge, débitmètre, granulomètre…), permettent de caractériser les propriétés thermodynamiques (analyse calorimétrique sous pression contrôlée pour la mesure fiable des températures et des enthalpies de dissociation d’hydrates), rhéologiques, thermiques, cinétiques (réacteurs agités/statiques, bulk/poreux…). Ils sont utilisés pour valider des modèles de comportement multi-échelle (méthode volume finis, modèles empiriques…) capables de caractériser les procédés de stockage et de destockage de matière et de chaleur lors de la formation et la dissociation d’hydrates au sein de différents réacteurs, allant du système de production de froid, jusqu’à l’utilisateur, en passant par le dispositif de stockage et de transport de froid.
L’ensemble de ces travaux s’inscrit dans le cadre de différents projets financés sur la période 2002-2016 ; dont l’ANR Crisalhyd, collaboration entre IRSTEA, l’UCP (ENSTA ParisTech) et le Limsi (CNRS) ; les projets régionaux HYDCOOL 1 et 2 (Ecole des Mines de Saint-Etienne) et le projet interCARNOT AVENEPME pour le développement d’une maquette pré-industrielle (Ecole des Mines de Saint-Etienne). A ce jour, IRSTEA, l’Ecole des Mines de Saint-Etienne et l’UCP (ENSTA ParisTech) développent des études préindustrielles qui différent principalement dans le choix du type de cristalliseur, mais se rejoignent sur les questions de stockage/déstockage et de transport du coulis vers les postes utilisateurs.

Ecoulements

La caractérisation de la rhéologie des coulis d’hydrates est un sujet d’étude en soi, hérité de l’industrie pétrolière et des problématiques dites de « flow assurance » consistant à prévenir l’agglomération et le bouchage des conduites offshores. Considérant que ce problème est majeur pour le système de production, les industriels du domaine ont consacré beaucoup d’efforts à faire développer des boucles pilotes de caractérisation rhéologique et des outils de caractérisation granulométrique, dans des conditions expérimentales difficiles sous pression. L’enjeu scientifique est de coupler l’écoulement et la cristallisation par des modèles de thermo-hydraulique et cinétiques. Cet enjeu est aujourd’hui très fort pour la mise en production off-shore des puits à très grande profondeur où l’injection d’additifs thermodynamiques pour prévenir la formation ne suffit plus ou est trop couteuse. La recherche d’additifs cinétiques, utilisés à faible dose pour prévenir la cinétique et/ou l’agglomération est devenu un sujet prioritaire sur lequel sont engagés l’Ecole des Mines de Saint-Etienne, l’IFPEN et l’UPPA.
Les outils scientifiques et technologiques utilisés permettent de faire des liens forts vers d’autres domaines d’applications, par exemple concerne le transport et le stockage de semi-clathrates pour les applications à la climatisation, ou l’utilisation de clathrate hydrates pour le traitement de l’eau. Les systèmes diffèrent par leur caractère hydrophile ou hydrophobe suivant les promoteurs thermodynamiques utilisés, et par l’utilisation de gaz (ou pas).
L’Ecole des Mines de Saint-Etienne, l’IRSTEA et l’IFPEN sont équipés de boucles de caractérisation rhéologique de différentes tailles (de 1 à 5 cm de diamètre, du L au m3), pour étudier les écoulements pétroliers et de coulis d’hydrates, pour la caractérisation du transport, ou dans des unités finales lorsque le sujet concerne la climatisation. Les différentes boucles sont équipées de débitmètres massiques couplés à des mesures de perte de charge (viscosimètre capillaire ou d’Ostwald) afin de caractériser la rhéologie en fonction de l’écoulement (laminaire, turbulent) et de sa géométrie (Gaz, Liquide, Solide). Certaines boucles sont équipées d’outils très spécialisés pour la caractérisation granulométrique (sonde FBRM pour la mesure de longueurs de corde par technologie laser, sonde PVM pour l’endoscopie).
Enfin, les propriétés d’écoulement/transfert thermique sont étudiées plus spécifiquement sur des échangeurs de chaleur instrumentés.
Des modèles dynamiques sont développés aussi afin de caractériser les écoulements et les transferts thermiques des coulis d’hydrates. Ces modèles multi-échelles, validés expérimentalement sur les différents dispositifs, permettent ensuite de dimensionner et d’optimiser des systèmes complets de distribution de froid, allant de la production jusqu’à l’utilisation du froid, en passant par les systèmes de stockage et les boucles de transport de froid à coulis d’hydrates. L’ensemble de ces travaux s’inscrit dans le cadre de différents projets comme l’ANR Crisalhyd, en collaboration entre IRSTEA, l’UCP (ENSTA ParisTech) et le Limsi (CNRS) , et les projets régionaux HYDCOOL 1 et 2 (Ecole des Mines de Saint-Etienne). Enfin, l’Ecole des Mines de Saint-Etienne est engagée sur un programme industriel international (France, Brésil, USA) et sur un COOPERA France-Brésil pour l’application spécifique des écoulements pétroliers, l’expérimentation, l’instrumentation et la modélisation des écoulements polyphasiques avant et après la formation des hydrates (milieu hydrophobe).

Responsables:

– Anthony DELAHAYE, IRSTEA

– Jean-Michel HERRI, Mines Saint-Etienne – LGF UMR CNRS