Astrophysiques et Planetologie

Les très basses températures atteintes dans la partie externe de la nébuleuse présolaire (~40-80 K) indiquent qu’une grande quantité d’éléments volatils, incluant l’eau (H2O) et de nombreux gaz « cosmochimiques » présent dans la nébuleuse, a pu être incorporé par condensation et clathration dans les briques primitives à l’origine des corps du système solaire externe.

La proportion en eau observée dans les corps solides du système solaire varie typiquement entre quelques % et plus de 50%. Il en est de même pour de nombreux composés volatils piégés à leur surface ou dans leur atmosphère. L’incorporation de gaz sous forme de clathrates a vraisemblablement joué un rôle dans le piégeage de composés gazeux dans les corps cométaires, qu’on pense être les résidus des blocs primordiaux à l’origine de la plupart des objets du système solaire externe. Le piégeage du gaz sous forme « hydrates » pourrait ainsi expliquer la carence en N2 relativement au CO observée dans les comètes, ainsi que les enrichissements en volatiles à la fois sur Jupiter et Saturne. La présence de couches riches en clathrates pourrait également expliquer l’activité observée dans certains noyaux cométaires suite à la dissociation de leurs structures cristallines (explosions locales), et dans les processus de dégazage similaires observés et attendus sur certains corps planétaires glacés.
Indépendamment de la manière avec laquelle les éléments volatils ont été incorporés lors de l’accrétion des corps planétaires glacés, les conditions de température et pression régnant dans la plupart de ces objets permettent de stabiliser de nombreux gaz (en particulier les plus abondants, CH4, CO2, C2H6, N2, H2S, SO2 etc.) sous la forme de structure de clathrate d’hydrates de gaz. Les gammes de pression et de température dans lesquels ces structures clathrates peuvent être présentes dans l’intérieur de ces corps glacés, dépendent de la taille de l’objet, ainsi que de sa structure et de sa composition. On pense que les clathrates de gaz ont joué un rôle majeur dans les processus de dégazage des corps glacés, en particulier sur Titan, la plus grosse lune de Saturne, qui possède une atmosphère épaisse], et Encelade où on observe à l’heure actuelle des processus de dégazage actifs. Sur Titan, on pense que des clathrates de gaz, en particulier les clathrates de méthane et d’autres hydrocarbures, pourraient être stable sur toute l’épaisseur de son hydrosphère qui s’étend sur plus de 800 km et varie de 94 K à plus de 350 K et 1.5 bars à environ 1 GPa entre la surface et la base. Les clathrates d’hydrate de gaz joueraient un rôle majeur dans l’évolution de l’atmosphère via des processus de piégeage en surface et de dégazage interne. Sur Encelade, petite lune très active de Saturne, les processus de piégeage et de dissociation de clathrates pourraient expliquer les proportions relatives des différents gaz observés dans les éruptions émanant du pôle sud. Sur Europe, lune de Jupiter, les clathrates de CO2 et d’autres gaz pourraient joué un rôle clé dans les processus d’échange entre l’océan interne et la croûte glacée, influençant à la fois l’évolution thermo-chimique de la croûte de glace et l’évolution redox de l’océan interne. La présence d’hydrate de gaz est également envisagé dans le permafrost martien et pourrait jouer un rôle dans le dégazage épisodique de méthane. En outre, les hydrates sont supposés exister dans le mélange roche-glace sur Callisto, et sur la planète naine Pluton.
La présence d’hydrate de gaz est également envisagé dans le permafrost martien et pourrait jouer un rôle dans le dégazage épisodique de méthane. Cette présence du méthane sur Mars est extrêmement importante car elle a plusieurs implications majeures. S’il était prouvé que le méthane est d’origine biologique, notre vision de la vie comme un processus naturel serait révolutionnée. Une alternative est une origine abiotique via la décomposition par le rayonnement UV solaire des composés organiques contenus dans la poussière interplanétaire, mais les mesures de méthane faites par le rover de la mission MSL au voisinage du cratère Gale ne montrent aucune corrélation avec les événements de douche météorique. Une troisième possibilité est que le méthane soit localement généré à partir de la serpentinisation des roches mafiques et ultramafiques dans les systèmes hydrothermaux et fournissent une source pour des réservoirs d’hydrates de méthane abiotique. La durée de vie atmosphérique relativement courte de la molécule de quelques siècles implique, soit des systèmes hydrothermaux de subsurface acfifs sur la planète, ou la présence de pièges froids de méthane sous la forme d’une cryosphère riche en hydrates de gaz. L’hypothèse selon laquelle le champ magnétique rémanent de Mars serait dû à des épisodes de serpentinisation massive aux époques primitives amène à proposer que des déstabilisations locales et rapides de la cryosphère riche en clathrates de méthane, provoquées par des événements de nature catastrophique (formations du bassin d’impact d’Hellas ou du dôme de Tharsis), aient conduit à d’intenses épisodes de relâchement de CH4, rapidement transformé en H2 dans l’atmosphère. Une atmosphère primitive riche en H2 (10-20% en rapport de mélange volumique) est susceptible de générer un fort effet de serre par élargissement collisionnel des raies de CO2. Il a ainsi été montré que la cryosphère ancienne de Mars avait une capacité de stockage suffisante pour avoir maintenu des atmosphères épisodiques riches en H2 sur une durée totale de plusieurs millions à plusieurs dizaines de millions d’années, permettant potentiellement la formation des réseaux de vallées observés aujourd’hui.
Un autre hydrate qui a pu jouer un rôle important dans l’évolution climatique de Mars est l’hydrate mixte de dioxyde de soufre et de gaz carbonique. Le SO2 atmosphérique rejeté par les volcans dans l’atmosphère primitive martienne (principalement constituée de CO2), dans un contexte climatique froid, a dû être piégé sous la forme d’hydrates dans la cryosphère superficielle. Lors du piégeage de l’hydrate mixte dans les conditions martiennes, SO2 s’enrichit d’un facteur 100, voire quelques centaines, par rapport au CO2. Par ce mécanisme, d’énormes quantités de SO2 ont pu être incorporées au pergelisol martien sous forme d’hydrates mixtes de CO2-SO2 aux époques anciennes. Ce soufre n’aurait été libéré dans l’atmosphère que tardivement, aux époques où l’on observe précisément la formation d’énormes bancs de minéraux sulfatés. La raison de cette décomposition massive des hydrates de CO2-SO2 pourrait être la baisse de pression atmosphérique au dessous d’un niveau seuil de 0,5-1 bar qui a dû produire au même moment, pour des raisons encore non-élucidées.
En raison de leurs propriétés mécaniques, de leur densité variable selon leur composition, ainsi que de leur faible conductivité thermique (affectant les processus de transfert de la chaleur du corps de glace), les clathrates d’hydrate de gaz pourrait fortement influencer l’évolution thermo-chimique de ces corps glacés et expliquer les activités de surface observés sur certains d’entre eux. Le développement de modèles thermodynamiques décrivant la stabilité des clathrates dans différents contextes astrophysiques est ainsi nécessaire pour mieux anticiper dans quelles conditions ces clathrates peuvent être rencontrés et quelles conséquences ils ont sur l’évolution d’une variété de corps glacés. Bien que la présence de ces clathrates soient attendus dans de nombreux objets glacés, incluant les comètes, les lunes de glace des planètes géantes et les objets trans-neptuniens, leur détection représente encore un défi majeur. Par ailleurs leur signature spectroscopique infra-rouge et Raman a pu être établie grâce à des études en laboratoire sur des clathrates d’intérêt astrophysique. Néanmoins, la faible résolution spectrale et spatiale des données de missions spatiales passées et en cours ne permet pas encore de les identifier. En outre, la présence d’une atmosphère comme dans le cas de Titan empêche leur identification depuis l’orbite. Seul une exploration in-situ avec des instruments permettant une analyse fine des spectres de réflectance infra-rouge et Raman permettra de repérer ces structures clathrates et d’estimer leur composition. La mission JUICE (Jupiter ICy moon Explorer) actuellement en préparation par l’ESA et à destination des lunes de Jupiter devraient apporter les résolutions spectrales et spatiales suffisantes pour identifier des clathrates à la surface de ces lunes et de faire le lien avec leur contexte géologique. En préparation aux futures missions d’exploration, il est donc essentiel de poursuivre l’acquisition de spectres de références en laboratoire pour une variété de clathrates, qui pourraient être identifié à la surface de ces corps glacés, et de déterminer leur domaine de stabilité.

Verrous Scientifiques

La question de l’existence ou non des clathrates et de l’estimation de leur abondance dans les milieux astrophysiques pose donc un problème méthodologique qu’il faut examiner par des voies directes telles que l’observation, ou indirectes via l’application de la thermodynamique et la cinétique de formation dans des modèles, au plus près des paramètres réalistes des objets astrophysiques. Il est donc fondamental de pouvoir établir si les conditions thermodynamiques permettant la stabilité de ces clathrates hydrates dans un nombre important d’objets astrophysiques sont réunies, d’étudier leur cinétique de formation et de dissociation, paramètre qui contrôle leur présence et possiblement le facteur dominant et limitant en astrophysique, et enfin suivre l’évolution de ces clathrates hydrates lors d’une exposition potentielle à des rayonnements UV ou bombardements particulaires (électrons et ions). Dans le cadre de ce GdR, il sera proposé d’aborder ces problématiques en essayant de répondre à un certain nombre de questions, parmi lesquelles :

  • la stabilité des hydrates et les équilibres Glace-Gaz-Hydrates en conditions extrêmes, à la fois à basse pression (P  107 bar, T < 150 K) et haute pression (P > 1000 bars, T>250 K) dont les domaines restent encore largement inexplorés pour de nombreux gaz ;
  • la cinétique de formation et de dissociation des hydrates dans des conditions astrophysiques et planétologiques, et les limites de l’extrapolation de données à partir d’études réalisées à plus haute pression ou température (via par exemple des mesures d’énergie d’activation) ;
  • Identification des sources de gaz à l’origine des atmosphères planétaires ou des satellites et des conditions de formations des hydrates dans le manteau ou à la surface de ces objets astrophysiques ; cinétique de formation des hydrates à l’interface entre une atmosphère et une surface (surface gelée, surface rocheuse, particule en suspension dans l’atmosphère) ; cinétique de diffusion d’un gaz dans une matrice d’hydrates ; processus d’enrichissement progressif d’une matrice d’hydrates en présence d’une source de gaz ; compréhension fine des processus physiques responsables de la « préservation anormale » des hydrates.;
  • le rôle des hydrates en astrobiologie: la présence de ces composés est très étroitement liée à l’activité biologique dans les sédiments océaniques profonds. Ils ont tendance à se former dans les régions où le gaz naturel est produit en grandes quantités par la réduction du CO2 en CH4 par des bactéries méthanogènes (par exemple Kvenvolden et al. ; Charlou et al., 2004). Cette observation soulève un certain nombre de questions sur les mécanismes de formation et d’évolution des hydrates au sein des objets du système solaire. En outre, la plupart des modèles cosmochimiques suggèrent la présence de grandes quantités de méthane primordiale. La question du rôle des hydrates dans le transport de nutriments tels que le méthane dans les corps glacés pourrait être avancée. De même, le métabolisme d’organismes extraterrestres pourrait être conforté par la présence d’hydrates ;
  • D’autres développements, et reconsidérations fondamentales de certaines hypothèses telles que l’unicité de molécules hôtes dans les cages des hydrates ou les interactions à longue distance, seraient nécessaires pour appliquer la théorie de thermodynamique statistique à des satellites glacés, à Mars ou à des planètes extrasolaires pour lesquelles les conditions de formations des hydrates sont extrêmes (> 500 MPa) ;
  • Les propriétés mécaniques des hydrates dans certains régimes de déformation (glissement aux joints de grains, fluage de dislocations) permettraient de caractériser la réponse au fluage des hydrates, pur ou mélangé avec de la glace, pour les applications planétaires ;
  • L’intégration de modèles thermodynamiques décrivant la stabilité des clathrates sur une large gaz de pression et pour des compositions variétés ainsi que la prise en compte de leurs propriétés thermo-mécaniques dans des modèles de dynamique interne permettraient d’évaluer l’impact des clathrates sur l’évolution thermochimique des corps glacés du système solaire.

Détection et observation

  • Détection des accumulations d’hydrates de gaz par la spectroscopie infrarouge (comparaison avec les données des campagnes d’exploration).
  • Modélisation/interprétation des différents spectres (Spectre Infrarouge, Raman et de diffusion inélastique des neutrons) par simulations numériques au moyen de différentes méthodes (quantiques, classiques, mixtes).
  • Calculs ab initio de données « microphysique » (comme les paramètres définissant les potentiels d’interaction molécule-cage) de grande fiabilité pour leur application dans les modèles de formation des clathrates.
  • Modèle et formation

  • Modèles thermodynamiques décrivant la stabilité des clathrates d’hydrate de gaz pour une large gamme de pression (10-7 bars – 104 bars) et des compositions variés.
  • Modèles et méthodes numériques pour la formation des noyaux cométaires, formation des atmosphères des planètes
  • Modèles de dynamique interne des corps glacés incluant le transport convective des clathrates et les processus de formation/dissociation dans les différentes enveloppes internes.
  • Atmosphères planétaires

  • Impact des inhibiteurs (ammoniaque, methanol, sels) sur la formation des hydrates et implications sur les processus de dégazage et les propriétés des atmosphères planétaires.
  • Source de gaz, processus de migration, domaine de stabilité, mécanisme de formation et réactivité des fluides, caractérisation chimique par la géochimie, la thermodynamique et la spectroscopie Raman.
  • Astrobiologie

  • Influence des formations d’hydrates sur la composition des fluides aqueux et leur impact sur le potentiel astrobiologique de ces fluides.
  • Influence de la formation de clathrates en surface et de leur transport vertical sur la composition des océans internes et leur potentiel astrobiologique.
  • Responsables:
    – Bertrand CHAZALLON – PhLAM UMR8523 CNRS Univ. Lille
    – Gabriel TOBIE – LPG UMR6112 CNRS, Univ. Nantes