D’un point de vue technologique, les hydrates de gaz constituent souvent une perte financière pour l’industrie pétrolière (obturation des pipelines entrainant l’arrêt de la production ou zone à éviter pour l’installation des systèmes de production et de transport d’hydrocarbures offshore), mais ils peuvent également représenter une alternative potentielle pour les problématiques de transport et de stockage du gaz (méthane, hydrogène, dioxyde de carbone, etc.) dans des conditions « douces » de pression et de température. D’un point de vue fondamental, ces études finalisées sur les hydrates – constituant le cœur des trois autres pôles du GdR – reposent sur la compréhension des facteurs pilotant leurs propriétés physiques et chimiques allant des sciences moléculaires à la thermodynamique. Les travaux seront consacrés aux facteurs régissant la stabilité, la formation, l’inhibition, la décomposition des hydrates de gaz ou encore à leurs propriétés physico-chimiques spécifiques telles que leurs propriétés de transport (chaleur, ionique, etc.). Un point original sera également abordé à travers des études dédiées aux hydrates en milieu hétérogène ou aux interfaces afin de mimer leurs conditions d’existence naturelle non seulement en terme de thermodynamique mais également en terme de milieux d’occurrence (fonds océaniques, pipelines, poussières interstellaires, etc.). Le pôle « Sciences Moléculaires » s’inscrit ainsi dans le cadre de recherches fondamentales visant à fournir des données de base et des interprétations aux échelles nano et microscopique sur les hydrates pour les trois pôles du GdR, en combinant des approches expérimentales et théoriques grâce aux deux plateformes expérimentales et de modélisation qui la compose.
Verrous scientifiques
Les problématiques associées aux hydrates de gaz requièrent une connaissance approfondie des mécanismes microscopiques mis en jeu, et amènent à aborder de nombreuses questions sur :
- les mécanismes microscopiques et la cinétique de leur formation, dissolution et dissociation,
- l’analyse de la distribution des gaz dans les cages des hydrates et les signatures expérimentales propres aux hydrates,
- l’étude de la sélectivité de gaz piégés dans les cages des hydrates,
- la compréhension et l’étude des propriétés structurales des hydrates,
- l’analyse des propriétés dynamique des hydrates allant des phénomènes de transport moléculaire à la dynamique Brownienne en passant par les excitations rencontrées,
- l’analyse et la prédiction des propriétés thermo-physiques et thermodynamiques des hydrates de gaz,
- l’impact d’un substrat inorganique (e.g. analogues des parois de pipelines, des sédiments océaniques, des poussières interstellaires, etc.) sur la formation des hydrates de gaz, l’étude des interactions hydrates/matrices, et leur traduction au niveau macroscopique (morphologie, distribution, etc.).
Equilibre de phase et caractérisation
L’étude des équilibres de phase et des propriétés physico-chimiques fondamentales (suivi optique, thermodynamique ou en microscopie/spectrométrie et mesure in-situ) est à la base de nombreuses applications telles que les procédés de séparation, stockage, captage et transport de gaz ou encore de la compréhension des mécanismes d’échanges de gaz dans les hydrates (exemple phare du remplacement du méthane par du CO2 dans un hydrate). Des plateformes expérimentales de caractérisation des hydrates de gaz et de modélisation/simulation (décrit en partie 4) sont à disposition de la communauté. Ces plateformes permettent d’étudier et de caractériser ces composés de l’échelle moléculaire à l’échelle macroscopique en utilisant plusieurs techniques complémentaires et en s’appuyant sur les fondamentaux de la thermodynamique.
La caractérisation structurale et le suivi cinétique des structures clathrates formées sont réalisés par (micro-)spectroscopie Raman, IR (e.g. plateforme SIV de Bordeaux) ou encore par diffusion des rayons X ou des neutrons (utilisation des TGIRs synchrotron/neutron). Ces approches permettent de déterminer le contenu en gaz des hydrates – donnée essentielle pour évaluer les potentialités des hydrates naturels en tant que ressource d’énergie potentiellement exploitable ou leur domaine de stabilité. Ces études donnent également accès à la connaissance d’interactions fondamentales (potentiel d’interaction invité-hôte, taux d’occupation des cages, propriétés thermiques) et à leur influence sur des paramètres thermodynamiques (capacité calorifique, conductivité thermique, compressibilité, élasticité, etc.).
Les équilibres de phase des hydrates de gaz sont étudiés à la fois à l’échelle macro, par exemple avec des mesures de la pression et de la température dans des réacteurs agités haute pression (HP) soumis à des rampes de températures lentes ou des incréments, et à l’échelle micro par des observations microscopiques de la décomposition d’hydrates formés dans des capillaires fins. Les propriétés thermodynamiques et thermophysiques (enthalpie, chaleur spécifique, etc.) des hydrates sont également étudiées par calorimétrie, à l’aide de (micro-) calorimètres équipés de cellules agitées HP (e.g. développement et brevet de l’UPPA). Des mesures de composition d’hydrates sont également réalisées à l’aide de bilans matières appliqués à des volumes significatifs d’hydrates (2 kg de matière), par mesures en chaque point dans l’espace p-T de la composition de la phase gaz (chromatographie gazeuse) et de la quantité d’eau ayant réagi.
Les modélisations et simulations sont essentielles à la compréhension fine et à la prédiction des propriétés spécifiques des hydrates (e.g. conditions de stabilité des hydrates de gaz). Les simulations à l’échelle moléculaire (MD, MC, etc.) fournissent des paramètres qui nourrissent la modélisation thermodynamique classique. A titre d’exemple, un modèle thermodynamique classique des hydrates est développé en recalculant les paramètres de Kihara (e.g. développement de l’école des Mines de Saint-Etienne). Ces paramètres sont en effet « modèles-dépendant » car obtenus par régression d’un modèle physique robuste (van der Waals and Platteuuw), mais soumis à des hypothèses simplificatrices, des grandeurs thermodynamiques non consensuelles, et des approximations numériques de simulation. Ces modèles thermodynamiques sont validés sur les résultats expérimentaux, donnant la composition de la phase hydrate en équilibre avec un mélange de gaz.
La connaissance des propriétés des hydrates de gaz naturels requiert des études de l’influence des sels, des composés organiques sur leurs conditions de formation. Les équilibres de phases, la structure et plus généralement les propriétés thermodynamiques et cinétiques de nouveaux hydrates (semi-clathrates) sont étudiés par les approches précédemment décrites. Des hydrates sont analysés lors de leur formation à l’aide de mélanges complexes de gaz (CO2, CH4 et autres hydrocarbures légers, N2) appliqués à des solutions salines concentrées jusqu’à la précipitation des sels. Enfin, des modèles de phase liquide (dit eNRTL) utilisés pour évaluer le potentiel chimique de l’eau en présence de sels, sont également optimiser en réalisant des expériences (gaz purs) en présence de fortes concentrations de sels.
Mécanisme de formation et de dissociation.
La compréhension des mécanismes de formation et de dissociation des hydrates de gaz (en milieu libre ou confiné) a un intérêt fondamental et présente un enjeu capital dans la perspective de prévenir/limiter les problèmes induits par la formation d’hydrates dans la production pétrolière, de développer des procédés « hydrates » novateurs ou encore d’exploiter en tant que ressource les hydrates de gaz naturels.
La variété de dispositifs expérimentaux et de moyens de modélisation/simulation dont dispose la communauté « hydrates » française lui permet de réaliser les études à différentes échelles. Grâce à l’utilisation de divers modes d’observation en microscopie optique (transmission, réflectométrie, contraste de phase, fluorescence, Raman, etc.), il est possible de visualiser les phénomènes de formation et de dissociation des hydrates à des échelles submicroniques. Ces méthodes permettent de suivre la croissance et la fonte (dissociation) des cristaux dans les phases et à leurs interfaces. Toutefois, ces processus de croissance et de fonte des hydrates dépendent fortement de la présence d’additifs (inhibiteurs cinétiques, inhibiteurs thermodynamiques, promoteurs), des conditions thermodynamiques, mais également de la mouillabilité des surfaces.
La cristallisation des hydrates est par nature un phénomène stochastique. Les dispositifs de la micro- et milli-fluidique sont adaptés pour étudier cette propriété pour des pressions modérées. Utilisés pour générer des collections de petites gouttes ou bulles de taille (micro à millimétrique) contrôlée à l’intérieur d’une phase liquide, ces dispositifs permettent d’étudier pour différentes conditions (température, pression, avec ou sans additifs) la statistique de cristallisation (ou recristallisation) des hydrates pour par exemple caractériser l’effet « mémoire » d’un système, ayant déjà « vu » des hydrates ou de la glace. En effet, la présence préalable d’un hydrate dans un système, à condition que celui-ci ait été fondu peu de temps auparavant et à des températures proches de l’équilibre, facilite les formations suivantes. Maîtriser l’effet « mémoire » permet de réduire le caractère aléatoire de la cristallisation et ainsi facilite l’étude des hydrates pour des conditions données.
Les cinétiques de cristallisation et dissociation des hydrates sont souvent étudiées sur des systèmes macroscopiques (dans des réacteurs ou boucles HP) en présence ou non d’additifs et pour des géométries d’écoulement contrôlées. Les cinétiques sont alors caractérisées par la variation de paramètres plus globaux comme la pression, la taille et le nombre de cristaux (évalués par des techniques granulométriques (endoscopie optique, mesures de longueurs de cordes), ou encore la quantité de gaz capturée ou relarguée. Les résultats des études menées à cette échelle sont généralement déterminants pour décider d’éventuelles expérimentations aux plus grandes échelles (semi-industrielles ou industrielles).
Les techniques spectroscopiques précédemment mentionnées pour la caractérisation des hydrates et de leur équilibre de phase peuvent aussi être utilisées pour effectuer un suivi (souvent local) de la cinétique de formation et de dissociation de ces composés. Les simulations à l’échelle moléculaire sont aussi très pertinentes pour étudier, en plus des propriétés d’équilibres, les mécanismes de formation et de dissociation des hydrates et l’effet de divers paramètres sur leurs cinétiques. Les temps de calculs longs limitent cependant leur utilisation à des systèmes simples. Les données recueillies aux différentes échelles permettent d’alimenter des modèles de cristallisation faisant intervenir les processus élémentaires (germination, croissance, agglomération, attrition) et les transferts aux interfaces. Le développement de ces modèles est essentiel pour une meilleure compréhension de ces phénomènes cinétiques et leur éventuel contrôle.
Transport, sélectivité et dynamique moléculaire
Les hydrates présentent des propriétés physico-chimiques originales et complexes en lien avec les phénomènes de transport moléculaire et ionique, ou encore de la sélectivité d’encapsulation moléculaire. Comprendre les mécanismes mis en jeu requiert une connaissance approfondie des hydrates tant au niveau de la dynamique des espèces moléculaires (e.g. diffusion inter-cage, site d’adsorption) que de leur thermodynamique.
Un premier exemple concerne les hydrates ioniques formés par l’encapsulation d’acides ou de bases, et présentant des conductions « super-protoniques » liées à la délocalisation de défauts cationiques au niveau des cages aqueuses. Des études combinant diffusion quasi-élastique des neutrons et simulation de dynamiques moléculaires ab-initio ont permis d’étudier les mécanismes élémentaires de cette conduction protonique. L’intérêt de ces études fondamentales réside aussi bien dans le fait qu’ils constituent d’excellents systèmes modèles pour l’étude du transport protonique que dans l’étude de l’impact de ces défauts sur les propriétés dynamiques des hydrates (diffusion inter-cage), ou encore qu’ils ouvrent de nouvelles voies pour le stockage d’hydrogène ou la production électrochimique d’énergie.
Que ce soit pour l’optimisation des capacités de stockage de gaz (e.g. CH4,H2, CO2, etc.) ou pour l’étude des corps glacés de l’Univers, une compréhension de la structure et de la dynamique des hydrates de gaz est indispensable à un niveau fondamental. La diffusion quasi-élastique des neutrons (QENS) couplée à des simulations de dynamique moléculaire donne accès à la diffusion inter et intra cages de molécules de gaz encapsulées, leurs modes de tunneling rotationnel et de rattling, ainsi que leurs couplages avec les modes vibrationnels de la cage. Ces études fournissent ainsi des informations directes sur le potentiel d’interaction entre molécule invitée et cage aqueuse (e.g. spécifications des sites d’adsorption), et permettent d’élucider le lien entre la stabilité d’un hydrate et la dynamique des molécules encapsulées. Un exemple de nouveaux systèmes dérivés des hydrates est associé à des conditions extrêmes de formation (pression de l’ordre de plusieurs GPa ; développement et brevet de l’UPMC). Des études récentes ont permis d’établir que les structures initiales se transforment en de nouvelles phases analogues aux « glaces salées ». Leur capacité́ de stockage de gaz est ainsi fortement augmentée: l’exemple phare est probablement l’hydrate d’hydrogène dans la phase cubique C2 avec un rapport H2:H2O égal à 1 (dans un hydrate d’H2 « standard » à pression modérée, ce rapport est de 0.36).
Dans leurs milieux naturels, les hydrates de gaz se forment en présence de phases aqueuses (liquide ou glace) et de mélange de gaz. Etudier la sélectivité des gaz encapsulés dans les hydrates dit mixtes (i.e. formés de plusieurs molécules invitées) est donc primordial pour des problématiques de géosciences ou d’astrophysique. Cette sélectivité est étudiée par des techniques de spectroscopie, de diffraction ou de simulations Monte-Carlo afin d’explorer les paramètres physico-chimiques pilotant la capture préférentielle des gaz sur une échelle moléculaire. A l’échelle thermodynamique, des modèles sont développés (sur la base des analyses d’équilibres de phase et des caractérisations moléculaires) afin d’expliquer la formation d’hydrates de gaz hors équilibre et déduire leur composition. Ces études ont démontré que la sélectivité moléculaire dépend de la géométrie du système et de la vitesse de cristallisation. Seules les expériences conduites sur des échelles de temps longues (plusieurs mois) permettent de générer des hydrates proches de l’équilibre, à condition de considérer des mélanges de gaz simples. Différentes approches sont abordées pour expliquer ce résultat : une approche purement cinétique mettant en avant le rôle des transferts de matière et des interfaces, et une approche dite « multiflash » montrant que l’équilibre thermodynamique est atteint uniquement en présence d’une phase gazeuse stable en composition.
Interfaces et milieux hétérogènes
Un domaine d’intérêt croissant depuis quelques années concerne l’étude des interactions hydrates – substrats inorganiques (métaux, sédiments, argiles, etc.). Ces recherches sont au cœur des problématiques de génie des procédés (application au transport pétrolier), de géosciences (stabilité des hydrates dans les fonds océaniques) ou d’astrophysique (formation potentielle d’hydrates sur les comètes). Ces travaux requièrent des compétences larges allant de la synthèse de substrats analogues des minéraux naturels à la caractérisation des interfaces par des techniques microscopiques, spectroscopiques ou de simulations. Ces approches font l’objet de projets en cours (ANRs MI2C et HYDRE de 2015). Des modélisations thermodynamiques du type van der Waals-Platteuw des hydrates sont également développées sur la base d’équations d’état (e.g. cubiques, SAFT) utilisées pour décrire les propriétés des phases fluides et leur équilibre avec les hydrates. Le GdR intègre également une expertise dans la modélisation des propriétés interfaciales et de l’adsorption dans des milieux confinés par des théories comme la Théorie Fonctionnelle de la Densité Classique. Sur une échelle microscopique, des modèles de mécanique des fluides couplés à la thermodynamique (un modèle thermo-hydraulique) sont également développés pour simuler la géométrie d’un écoulement en symétrie cylindrique (application au transport pétrolier) et donc de déterminer les vitesses de déplacements et les pertes de charge.
Responsables :
Christophe DICHARRY – LFC-R UMR 5150 CNRS, TOTAL, Univ. Pau
Sylvain PICAUD – UTINAM UMR 6213 CNRS, Univ. France-Comté